Brothers – Yu Hua

img_20170224_112615116Première chronique, ça y est !
Et pour l’occasion j’ai choisi un roman offert par une amie de très longue date. Pour la petite histoire, celle-ci est en pleine rédaction de son mémoire sur les frères dans la littérature contemporaine. Elle se base sur À l’Est d’Eden de John Steinbeck, que j’ai lu à Noël (et adoré), Deux cavaliers de l’Orage de Jean Giono (qu’il me reste encore à lire) et Brothers de Yu Hua.

Mon amie m’avait prévenue : c’est un roman extrêmement marqué par un humour très chinois et des références qui peuvent paraître un peu obscures à un lecteur non-connaisseur. Yu Hua est un auteur ayant vécu la période charnière comprenant la Révolution Culturelle, les réformes d’ouverture sur le monde et l’adoption du modèle économique actuel, bien plus capitaliste que communiste.

Cela donne un ton bien particulier au roman et comme le décrit Yu Hua en postface :

La première partie de l’histoire se déroule pendant la Révolution Culturelle : une époque […] analogue au Moyen Age européen. La seconde partie se passe à l’heure actuelle, […] l’ère de tous les possibles, plus encore que dans l’Europe d’aujourd’hui.

Seul un occidental qui aurait vécu quatre cents ans aurait pu vivre deux époques aussi dissemblables, quand il n’aura fallu aux Chinois que quarante ans pour les connaître toutes les deux.

Mais de quoi ça parle ?

Li Guangtou et Song Gang habitent au bourg des Li, en Chine, et sont frères par leur destin si ce n’est par leur sang. Enfants et adolescents inséparables durant la Révolution Culturelle, c’est à l’âge adulte que leurs chemins s’éloignent, en même temps que la Chine entre dans l’ère des réformes et de l’ouverture.

Le roman suit donc l’histoire de ces frères et des villageois les entourant à travers un demi-siècle marqué par la faim, la violence, les ascensions et naufrages économiques et politiques.

Du temps où elle était encore de ce monde, la mère de Li Guangtou le lui répétait souvent : « Tel père, tel fils. »

C’était de Song Gang qu’elle parlait. Elle disait que Song Gang était aussi loyal et bon que son père, que le père et le fils étaient comme deux courges qui auraient poussé sur la même tige. Dès qu’il était question de Li Guangtou, elle secouait la tête et affirmait qu’il n’y avait rien de commun entre lui et son père, qu’ils étaient à cent lieux l’un de l’autre. Pourtant, quand Li Guangtou, l’année de ses quatorze ans, fut surpris dans les toilettes publiques à mater les fesses de cinq femmes, l’opinion de sa mère changea radicalement : elle dut se rendre à l’évidence et admettre que Li Guangtou et son père étaient eux aussi deux courges issues d’une même tige. Li Guangtou se souvenait parfaitement de la scène du regard fuyant et effrayé de sa mère, et de son air triste quand elle avait tourné les talons et qu’elle avait marmonné, en essuyant ses larmes :

– Tel père, tel fils.

Mon avis
Attention, j’y mentionne plusieurs événements se déroulant dans la deuxième moitié du roman. J’ai fait attention à ne rien spoiler de l’intrigue principale mais si vous voulez lire un avis sans rien connaître de l’histoire, n’hésitez pas à passer les paragraphes jusqu’à la prochaine photo.

Le roman débute directement sur plusieurs chapitres parlant fesses et caca : c’est surprenant, mais on s’y habitue vite puisque tout est très organique dans cette histoire. Ça pleure, la morve coule du nez, ça saigne, ça crache, ça transpire, c’est boueux, c’est sale. Le langage est argotique, ça jure, ça hurle, ça insulte. Le tout pourrait vite saouler mais donne un aspect très vivant aux personnages et au village, que j’avais souvent l’impression de voir s’animer.

Les personnages sont nombreux et à la personnalité très marquée, en commençant par Li Guangtou et Song Gang. Pour être honnête, j’ai eu envie de coller des baffes au premier sur la quasi-intégralité du roman : si quelques passages d’humanité le rendent un peu plus attachant, son rapport aux femmes a été un gros point noir pour l’apprécier. C’est d’ailleurs ce qui m’a empêché d’avoir un vrai coup de cœur pour Brothers, car si son côté voyeur et harceleur est jugé et contrebalancé par la personnalité de son frère, son obsession pour la virginité des femmes et son mépris du consentement de ses « conquêtes » sont impardonnables. J’ai trouvé certains paragraphes glaçants de misogynie. L’humour cynique de l’auteur et quelques remarques apportent certes du recul sur les actions de Li Guangtou, tout comme le fait que ses actions sexistes soient dénoncées par ses pairs lorsqu’il est pauvre et encouragées une fois milliardaire. Ce n’était toutefois pas suffisant pour moi.

En dehors de cet aspect franchement moisi qui intervient dans le dernier tiers du roman (au cours d’un concours de miss vierges complètement surréaliste et misogyne, présenté d’ailleurs en tant que tel)(encore heureux), j’ai trouvé l’histoire passionnante. L’évolution des deux frères et du village est assez fascinante, oscillant entre le burlesque et une violence assez terrifiante. C’est d’ailleurs la première partie qui m’a le plus plu, décrivant la Révolution Culturelle avec un humour très noir, alors que les deux personnages sont encore enfants et que leur père tente de leur expliquer ce qu’il se passe sans les effrayer.

vivre
Extrait du film Vivre ! de Zhang Yimou, adapté du roman éponyme de Yu Hua

C’est un roman auquel il ne manquait pas grand chose pour devenir un coup de cœur. Si la première partie m’a plu et fait enchaîner chapitre sur chapitre, le dernier tiers est bien trop rempli de violences misogynes pour que je puisse pleinement apprécier l’ensemble. Pourtant, je sens bien que cette dernière partie est autant remplie de critiques envers le régime actuel et ses dérives capitalistes et sexistes que la première envers la Chine de Mao, mais il m’a sûrement manqué les clefs de compréhension nécessaires pour bien les saisir, me laissant sur une impression mitigée.
Cette histoire de la Chine et de deux frères, alternant entre humour grotesque ou cynique et tragédies émouvantes, m’a fait passer quelques heures de lectures passionnantes malgré quelques réserves.

Je le recommande à ceux qui veulent lire un regard sans concession sur la Révolution Culturelle, qui aiment les fresques suivant des personnages sur plusieurs décennies et qui ne sont pas rebutés par un vocabulaire et une violence très crus.

Brothers – Yu Hua
Actes Sud pour l’édition poche, trouvable sur Place des Libraires.


Sur le même thème et que je conseille :

  • Vivre ! de Yu Hua : le roman qui m’a fait découvrir l’auteur, où une famille subit toutes les catastrophes possibles et imaginables sur fond d’histoire de la Chine. Bien plus court que Brothers, c’est une bonne manière de découvrir le style et l’humour de l’auteur.
  • Le Palanquin des larmes de Chow Ching Lie : l’autobiographie de l’autrice, mariée de force à 13 ans, quelques mois avant l’avènement de Mao. Un autre regard sur ces événements, que j’ai lu au collège et qui m’avait profondément marquée.
  • Funérailles célestes et Chinoises de Xinran : Xinran est une animatrice radio vedette en Chine. Son émission relaie les témoignages de Chinoises de tout le pays et dans ses textes publiés à l’étranger, elle relate les récits censurés à la radio.
    Le premier livre se consacre à l’histoire d’une femme partie à la recherche de son mari, disparu au Tibet, en pleine ascension du communiste. Elle ne reviendra en Chine qu’après les réformes et l’ouverture du pays, le découvrant complètement changé.
    Le second est un recueil de témoignages de dizaines de Chinoises de tout milieu social. C’est très, très violent, parfois insoutenable, mais c’est un texte important par son essence même.

romanschinois


Avez-vous lu Brothers et pourriez-vous lire un livre dont le personnage principal est aussi ambigu ?
Connaissez-vous d’autres romans relatant l’évolution de la Chine contemporaine ?

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