Déracinée – Naomi Novik

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Cela faisait quelque temps que j’entendais parler de ce roman de-ci de-là et la couverture me laissait augurer une réécriture de contes de fées tout à fait intrigante. Les avis semblaient globalement positifs, voire dithyrambiques, assez pour me tenter alors que je lis assez peu de fantasy. Je ne songeais pas forcément à le lire de suite, mais quand je l’ai vu trônant fièrement dans les nouveautés de ma bibliothèque je n’ai pas hésité une seule seconde.
Finalement… c’est une déception, et je suis bien la première à le regretter.

Mais de quoi ça parle ?

Dans le village d’Agnieszka, une jeune fille de dix-sept ans est emportée tous les dix ans par le Dragon qui habite dans une tour fort proche, pour ne reparaître que la décennie suivante, profondément changée. Pas de véritable créature fantastique impliquée dans cet enlèvement, le Dragon est un sorcier immortel protégeant les villageois des attaques du Bois entourant la vallée : ceux qui s’y sont aventurés n’en sont jamais ressortis.
Cette année, tout le monde sait que Kasia, la meilleure amie d’Agnieszka sera choisie. Elle est belle, gentille, intelligente, courageuse, parfaite. Évidemment, rien ne se passera comme prévu.

Notre dragon ne mange pas les filles qu’il emporte, malgré les histoires que l’on raconte à son sujet en dehors de notre vallée. Ils en parlent comme si nous sacrifiions des êtres humains  un véritable dragon. Naturellement, rien de cela n’est vrai : il a beau être magicien et immortel, il n’en reste pas moins homme, et nos pères se ligueraient pour l’éliminer s’il venait dévorer l’une d’entre nous tous les dix ans. Il nous protège contre le Bois, et nous lui en sommes reconnaissants, mais pas à ce point.
Il ne les mange pas vraiment ; c’est juste que ça donne cette impression. Il emmène une fille dans sa tour et la libère dix ans plus tard, mais elle n’est alors plus la même.

Mon avis

Tout a bien commencé pourtant. L’écriture est fluide, simple et agréable. Le début est très prometteur, essaimant quelques détails intrigants dans une atmosphère de conte de fée un peu tarabiscotée.
L’ambiance est en plus assez rafraîchissante. L’autrice a souhaité exploiter ses racines polonaises en reprenant des éléments des contes traditionnels. Le décor donne envie de s’y plonger, et j’aimerais vraiment en voir des représentations graphiques.

La présentation de l’antagoniste est également très positive : le Bois exerce une présence un peu floue, très menaçante, on en sait peu et c’est assez angoissant. Au fil du roman et des découvertes, il ne perdra d’ailleurs pas de sa menace ; c’est sûrement ce que j’ai retiré de plus positif de toute ma lecture. Il faut un bon méchant pour faire une bonne histoire, certes, mais ici le méchant est très bon et l’histoire moins.
Pour terminer avec le positif, la fin est très réussie. Elle illustre exactement ce que j’aurais souhaité trouver tout le long du roman pour avoir un coup de cœur.

À part ça c’est un beau gâchis. Dès le départ, l’héroïne et le Dragon me paraissaient un peu convenus. Sans vouloir faire ma blasée, j’ai l’impression d’avoir lu suffisamment de romans où une jeune femme pas si jolie et très maladroite (il faut arrêter avec la maladresse, il y a d’autres défauts dans la vie) se montre finalement débrouillarde et digne d’être l’héroïne, tandis qu’un homme ténébreux, bourru et pas très gentil en apparence révèle les secrets de son cœur tendre. J’ai haussé un peu les sourcils mais j’étais confiante, attendant l’explosion en règle des clichés, ou leur utilisation de manière intelligente… eh bien non, ce sont juste les mêmes personnages que partout ailleurs, point.
Les autres personnages sont au mieux agaçants, au pire inintéressants, ce qui annihile rapidement le suspens car il est compliqué d’avoir peur pour des poupées vides. Les interactions entre eux sont plutôt superficielles et il y a de plus une romance qui se paye le luxe d’être à la fois complètement clichée et à la limite du malsain (de grâce, arrêtons de montrer comme absolument romantique les histoires d’amour où la seule source de communication ou presque est la violence verbale). Le pire c’est que cette histoire, remplacée par une amitié progressive, aurait vraiment été bien plus adaptée au contexte et aux personnalités des protagonistes. C’est bien les jolies histoires d’amitié, non ?

En ce qui concerne l’histoire, si je suis restée captivée au début et à la fin du roman, j’ai quasiment lâché l’affaire lors de trois bons quarts du texte. Ma lecture a commencé à se faire mécaniquement et le déroulement de l’intrigue est à la fois trop rapide et incrusté de longueurs. Certaines idées en soi n’étaient pas mauvaises, et peut-être aurais-je réussi à m’impliquer dans l’intrigue si le roman était plus long, mais j’ai eu la sale impression d’être devant un patchwork de scènes un peu décousues. J’ai eu la sensation de me retrouver face à un alignement de clichés de l’heroic fantasy dans les scènes politiques comme sur le champ de bataille. Et là encore, comment maintenir le suspens quand les personnages importants paraissent systématiquement immortels au détriment du reste des combattants ?

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Illustration de couverture de l’édition américaine

Bref, je reste sur une sensation de potentiel gâché. Si j’ai beaucoup aimé le début et la fin du roman, le gros de l’histoire m’a semblé trop stéréotypé pour m’attirer. Je suis surtout tombée sur des avis positifs et je vois en quoi il peut plaire, mais je n’ai pas été convaincue, loin de là. Le conte pour adulte pouvait être intéressant si les clichés alignés étaient déconstruits et non pas juste… présents. L’univers est vraiment sympa, le méchant très réussi, à voir si l’adaptation à venir au cinéma sera meilleure ?

Je le conseille malgré tout à celles et ceux attiré·e·s par cet univers et qui apprécient l’heroic fantasy.

Déraciné – Naomi Novik
Édité chez Pygmalion, à trouver proche de chez vous sur Place des Libraires


Sur le même thème et que je conseille :

  • Le dernier vœu (1er tome de la saga Le Sorceleur)- Andrzej Sapkowski : vous connaissez peut-être déjà le sorceleur via son adaptation vidéo-ludique, The Witcher, dont le troisième opus est sorti récemment. Je vous conseille d’ailleurs les deux œuvres en fonction de votre intérêt ou non pour les jeux vidéo, car l’adaptation est de qualité tant pour le visuel que l’histoire et le gameplay. Le Sorceleur est une série de romans polonais d’heroic fantasy, dont le premier tome est un recueil de nouvelles inspirées du folklore polonais de manière violente et adulte. Le héros, Geralt, est une sorte de chasseur de primes qui rencontre au fil de ses aventures diverses créatures. Le récit est agréable à lire, pas manichéen, avec une mythologie très riche et rafraîchissante. Je n’ai toutefois pas lu la suite, mais c’est une lecture sympathique (les couvertures françaises sont sacrément moches par contre).
  • La Passe-Miroir – Christelle Dabos : difficile de passer à côté de ce roman jeunesse qui a été moult fois conseillé sur la toile et en librairie. La Passe-Miroir est une série de fantasy française prévue en quatre volumes, dont deux sont déjà sortis en librairie. Mis à part les superbes couvertures, son attrait réside aussi dans un univers Belle Époque qui fourmille de magie et rappelle par moments les films d’Hayao Miyazaki. L’héroïne, Ophélie, a la capacité de lire les objets et de traverser les miroirs. C’est une jeune fille tout à fait normale à part ça, plus caractérisée par sa maladresse que par sa beauté (ça alors, quelle surprise, du jamais-vu). À la suite d’un mariage arrangé, elle quitte sa famille pour rejoindre son promis, Thorn (un homme ténébreux et torturé, on ne s’arrête pas dans l’originalité), dans un paysage glacial où l’attendra bien des aventures. Le texte prend plus son temps que Déracinée, et si les deux œuvres partagent des clichés en commun c’est une lecture que j’ai réellement appréciée et dont j’attends la suite avec impatience. Que dire autrement, sinon que l’univers semble assez riche et qu’on se plonge agréablement dans l’intrigue.
  • Le Château de hurle – Diana Wynne Jones : un air de conte de fées dans ce roman fantastique connu pour son adaptation cinématographique par Hayao Miyazaki (tout se recoupe). Sophie a dix-sept ans et s’occupe d’une chapellerie avec sa belle-mère. Une sorcière la transforme un jour en vieille femme, l’obligeant à quitter les siens. Cela l’emmènera auprès de Hurle, un magicien fantasque vivant dans un château ambulant. C’est une histoire pleine de magie que j’avais adorée quand j’avais une dizaine d’années.
  • Jane Eyre – Charlotte Brontë : pas vraiment de magie dans ce dernier livre, même s’il a un petit quelque chose de fantastique par moments. Si je le conseille, c’est parce que tant qu’à avoir une héroïne peu gracieuse et un héros ténébreux et torturé, autant revenir à la base (et puis, accessoirement, c’est un très bon roman).

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Avez-vous lu Déracinée ? Si vous l’avez aimé et n’êtes pas du tout d’accord avec mon avis, n’hésitez pas à venir en débattre en commentaires !
Connaissez-vous d’autres relectures de contes d’Europe de l’Est ?

14 réflexions sur “Déracinée – Naomi Novik

  1. J’ai adoré la construction de ton article, qui commence avec un livre un peu bof (bon, je me fie uniquement à ton avis, parce que je ne l’ai pas lu), puis en propose un adapté en jeu vidéo (mon mari y a pas mal joué et a bien retrouvé l’univers dans le premier livre, mais sans accrocher plus que ça), puis mine de rien, tu mentionnes Miyazaki et mon animé culte, Le château ambulant pour finir par mon livre chouchou entre tous, Jane Eyre! Note pour plus tard: toujours bien lire tes articles jusqu’au bout, il peut y avoir une pépite jusqu’à la dernière ligne 🙂

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    • J’ai été déçue mais je suis sûre qu’il trouvera son public, je n’en fais juste pas partie 🙂 Et puis j’ai été dure mais je suis quasiment sûre que si je l’avais lu il y a une dizaine d’années je l’aurai a-do-ré !
      Pour moi ça reste Le voyage de Chihiro mon Miyazaki préféré, peut-être parce que c’est le premier que j’ai vu de lui et que je me souviens de la séance de cinéma comme si c’était hier…
      En tout cas je pense que les romans de Diana Wynne Jones pourraient carrément te plaire !
      Merci pour ton commentaire en tout cas, ça me fait super plaisir ♥

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  2. Je ne connaissais pas du tout ce titre et je trouve la couverture magnifique, mais c’est dommage à chaque fois dans la littérature jeunesse il y a quelque chose qui ne va pas et c’est soit cliché (pour faire plus de profit) soit il y a de grosses grosses lacunes au niveau psychologie des liens et des personnages. Le résumé me tente énormément quand même mais là j’en ai marre de lire des livres qui ne me touchent absolument pas TT

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    • En l’occurrence le titre est classé en littérature adulte, même si je pense qu’il peut tout à fait toucher un public plus jeune.
      Si le résumé te tente ça vaut peut-être le coup d’essayer, et si il te plaît on pourra en débattre 🙂

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  3. Je trouve ta chronique très intéressante et elle me donne paradoxalement envie de lire ce bouquin, pour voir ce qu’il en est et pester contre les romances stéréotypées (je te rejoins complètement, d’où vient cette épidémie de maladresse ? Comme si c’était le défaut le plus courant de la terre…). Bon et aussi parce que j’aime bien la fantasy et aimerais en lire plus ! Merci pour tes conseils !

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    • Peut-être que le livre te plaira en plus, j’ai vraiment l’impression d’être passée à côté de quelque chose c’est frustrant ! J’espère pouvoir lire ton avis si tu le lis, pour pester ensemble si tu me rejoins ou en débattre si tu apprécie 🙂
      (et je suis bien contente de ne pas être seule à rester perplexe devant l’épidémie de maladresse)
      Merci beaucoup pour ton commentaire !

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      • Je te dirai si je le lis 😉 Et concernant cette épidémie de maladresse, j’ai bien l’impression qu’elle s’est propagée à un niveau mondial grâce à Twilight… Bella est vraiment l’archétype de l’héroïne moderne solitaire, gauche et inconsciente de sa beauté.

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  4. J’ai a peine commencée ma lecture de ce livre, et voilà que je tombe sur ton article…
    Évidemment j’ai fortement pensé à la passe -miroir, étant donné les caractéristiques des personnages… Et je me suis aussi dit que j’en avais marre des jeunes héroïnes, que retrouver un héros avec une personnalité différente, sa pouvait être bien aussi… J’ai aussi penser à the witcher (je l’ai pas lu, ms je trouve une proximité de Le flockore, peut-être le côté magicien auquel on fait appel…
    Sinon pour le moment je suis globalement d’accord avec ton article, je trouve le bois super intéressant comme personnage, bon faut que je termine ma lecture…

    Et pour finir j’avais adoré le roman, le château de Hurle.

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    • Oh, ça tombe bien ça, n’hésite pas à me dire ce que tu en auras pensé une fois terminé !
      The witcher c’est vraiment le premier roman qui m’est venu à l’esprit avec le folklore polonais et, comme tu le dis, le magicien au service des autres.
      Le château de hurle est top ! Mais j’ ai découvert depuis qu’il est en rupture de stock depuis des années et introuvable en français, c’est dommage…

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      • Alors, j’ai terminé hier soir, et oui, je pense que je préfère aussi la fin au début,j’aime beaucoup le personnage du bois, et de la reine-bois, c’est pas d’une originalité folle, ms ça me plaît.
        Après ça ce lit très vite, je suis pas sur que je vais en gardée grand chose… Peut être le bois justement…

        Pour le château de Hurle, je l’avais acheté il y a très longtemps, du coup kl est gentiment à sa place dans ma bibliothèque.

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        • Oui tout à fait, le bois n’est pas incroyablement original mais très bien fait ! Et j’en garderais la même chose que toi…
          Ah la chance, tu as une édition collector alors ! La mienne a été gribouillée par ma petite sœur donc les pages sont couvertes de dessins 😀

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