Le rapport de Brodeck – Manu Larcenet

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J’ai connu Larcenet il y a quelques années grâce à mon copain, dont c’est l’auteur préféré. J’ai donc suivi une session de rattrapage intensive de son œuvre, ultra riche et hétérogène, qui va de l’autobiographie semi-humoristique dans le Combat Ordinaire à son travail d’illustrateur pour Le journal d’un corps de Daniel Pennac. C’est quand il expérimente le plus de choses avec son dessin que je l’apprécie le plus, comme dans Blast qui m’a complètement soufflée. Le Rapport de Brodeck est sa dernière série en date et je préviens, ça fait mal.

Mais de quoi ça parle ?

Au départ, le meurtre d’un étranger dans un village de montagne paumé, dans le contexte tendu de l’après-guerre. Les villageois demandent à Brodeck, qui passait là par hasard et n’a pas participé à la scène, d’écrire un rapport sur les événements ayant mené à la tuerie. Celui-ci se remémorera également ses propres souvenirs de son expérience dans les camps de concentration.

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Mon avis

La première chose qui saute aux yeux est la beauté de l’édition de Dargaud. La BD est dans un format à l’italienne très soigné qui convient complètement au contenu, rangée dans un étui cartonné magnifiquement illustré. Il y a deux tomes dans la série, que je conseille toutefois de lire à la suite car ils forment un tout continu.

Je n’avais pas lu le roman original de Philippe Claudel auparavant donc je ne peux pas vraiment me prononcer sur la qualité de l’adaptation. En tant qu’œuvre indépendante c’est en tout cas très bien fait. L’histoire repose avant tout sur les non-dits et les silences, bien plus évocateurs que beaucoup de dialogues. Cela n’empêche pas l’œuvre d’être facilement compréhensible dans sa globalité. Le sujet abordé est évidemment très dur et malheureusement toujours d’actualité (la peur de l’Autre jusqu’au mépris de sa vie), donc soyez averti en ouvrant le livre : c’est sombre et ça ne met pas à l’aise du tout. Certains passages sont à la limite de l’insoutenable ; comme souvent dans ce type d’œuvre on achève la lecture en se demandant ce que l’on aurait fait dans ce contexte, et en espérant de tout cœur ne jamais avoir à affronter la situation. Plus jamais ça, comme cela a été répété, mais apparemment les leçons n’ont pas été apprises.

La violence reste cependant assez suggestive, il y a peu de scènes vraiment frontales. Là encore, tout est dans les non-dits et les petits détails, ce qui marche admirablement pour glacer d’effroi. Les choix visuels de Larcenet aident évidemment à entretenir cette ambiance malsaine. La figure du nazi est d’ailleurs proprement monstrueuse dans son visuel, terrifiant, tout comme les chiens des camps de concentration. Cela fait d’autant plus d’effet que le reste du dessin est plutôt réaliste, voire à la limite du photo-réalisme pour les bêtes du village. Le dessin est une claque artistique, avec un noir et blanc superbe qui donne envie de laisser s’attarder le regard à chaque case. La tension est palpable et sublimée par le trait très dur adopté dans l’ouvrage.

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Tout ceci fait du rapport de Brodeck une œuvre étrangement poétique dans l’horreur, assez simple mais percutante. La lecture est impressionnante, servie par une qualité artistique complètement dingue. Si je continue de lui préférer Blast (même si c’est injuste de les comparer, les deux séries ne partent pas avec la même ambition) je vous la conseille sans hésitation.

Le Rapport de Brodeck – Manu Larcenet (2016)
Édité chez Dargaud en 2 tomes, à trouver proche de chez vous sur Place des Libraires


Sur le même thème et que je conseille :

  • Blast – Manu Larcenet : la meilleure bande-dessinée de l’auteur à mon goût, qui va extrêmement loin dans l’expérimentation visuelle. J’ai pu lire que ce fut un défi pour Larcenet, eh bien le défi est réussi haut la main. Le noir et blanc est sublime, les passages en couleur complètement psychédéliques. C’est une lecture très dure, bien plus que le rapport de Brodeck au final. On suit un homme mis en garde à vue pour un crime grave (qu’on ne connaît pas au début) et qui raconte son histoire aux policiers. Il est difficile de ne pas s’attacher à ce personnage, ce qui rend le dégoût pour ses actions d’autant plus violent. La série est achevée en quatre tomes parus entre 2009 et 2014.
  • Tout seul – Chabouté : on part dans des thèmes complètements différents ici, peut-être moins durs ou d’une manière différente. Chabouté parle de la solitude, avec un héros difforme n’ayant jamais quitté le phare dont ses parents étaient les gardiens. Pour s’évader, il imagine le monde à travers les descriptions d’un dictionnaire et les objets apportés par les vagues. C’est une BD très poétique, avec peu de dialogues, servie par un dessin en noir et blanc magnifique. Le livre est paru en 2008 et c’est pour moi un incontournable.
  • Maus – Art Spiegelman : encore du noir et blanc pour le dessin de cette BD, mais cette fois-ci c’est par ses thématiques que Maus se rapproche du Rapport de Brodeck. L’auteur met en image le témoignage de ses parents, rescapés des horreurs de la Seconde Guerre Mondiale, à travers la personnification des juifs en souris et des allemands en chats. Un classique de la bande-dessinée et de la littérature tout court, qui n’a pas perdu une ride depuis sa parution en 1980. À lire, absolument.

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Connaissez-vous Larcenet ?
Quelles sont vos BD favorites ?

5 réflexions sur “Le rapport de Brodeck – Manu Larcenet

  1. Je ne connais pas Larcenet, mais j’ai lu le roman de Ph. Claudel et d’après ce que je lis de ton commentaire, l’adaptation en BD est plutôt réussie, puisque je m’y retrouve complètement!
    Un collègue m’a prêté Tout seul de Chabouté et j’ai adoré! Je me demande même si je ne vais pas me l’acheter… L’histoire est dure et pourtant merveilleusement poétique, je l’ai refermé les larmes aux yeux.

    Je suis en pleine découverte du monde de la BD (et des mangas) et c’est bien loin de l’image « Gaston Lagaffe » que je m’en étais faite: Pilules bleues de F. Peeters, Joséphine Baker et Olympe de Gouges, de Catel et Boquet, Les culottées de P. Bagieu, l’Origine du monde…

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    • Je l’avais emprunté à la bibliothèque à la base et j’ai craqué, j’étais obligée de l’acheter, c’est une BD tellement chouette…
      J’adore F. Peeters ! En effet le monde de la BD est incroyablement riche, j’ai eu la chance d’avoir un père passionné qui m’a fait découvrir plein de pépites donc je n’ai jamais eu l’image Gaston Lagaffe, mais je t’envie d’avoir tant de choses à découvrir 🙂

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