Moi, Jean Gabin – Goliarda Sapienza

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J’aurais voulu vous parler de romans différents, changer de genre littéraire, de pays, de thème… Mais ce sera pour une autre fois car après avoir adoré L’Art de la Joie de Goliarda Sapienza, je suis tombée au hasard des étagères de ma bibliothèque municipale sur un autre roman de l’autrice. C’était si chouette que je suis bien obligée de vous le présenter !
Écrit dans les dernières années de sa vie ce texte n’avait jamais été publié jusqu’à peu. C’est deux maisons d’éditions, l’une italienne et l’autre française (Attila), qui ont décidé d’éditer l’intégralité de la bibliographie de l’écrivaine, à très bon escient : c’eût été dommage de passer à côté de cette pépite.

Mais de quoi ça parle ?

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas une biographie de Jean Gabin mais bien l’autobiographie des années de jeunesse de Goliarda Sapienza, alors qu’elle grandit à Catane dans la Sicile du début des années 30. Après avoir vu des films de l’acteur comme Le Quai des Brumes, elle se prend d’une telle admiration pour lui qu’elle désire devenir Jean Gabin.

La Civita, la nuit, quand tous les bassi étaient fermés, réveillait ses monstres sculptés dans cette pierre d’enfer coupante et noire et commençait à résonner tout entière de gémissements, grognements, longues respirations de serpents, de maures, de méduses, de mélusines. Les mille bouches ouvertes de ces animaux, mi-homme mi-cheval, mi-femme mi-serpent, mi-serpent mi-oiseau agitant leurs queues et leurs ailes noires, produisaient un sifflement si terrorisant que plus d’une fois on retrouvait au matin quelque malheureux mort de peur d’avoir entendu ces bruits ou avoir vu un atlante se détacher du corps d’un palais et venir avec lui avec des mouvements inconnus jusqu’alors.

Mon avis

Il y a quelque chose d’assez absurde dans ce roman, ne serait-ce que par sa couverture (une photo d’époque de Goliarda Sapienza) accompagnée de ce titre trompeur. J’avais des attentes assez hautes pour le livre après mon amour démesuré pour L’Art de la Joie et je n’ai pas été déçue, même si les deux textes sont très différents.

Ici, on est dans une autobiographie assez courte et plus légère, moins ambitieuse que le roman-fleuve sus-nommé, sans aucune connotation péjorative. Moi, Jean Gabin permet de mieux cerner l’autrice et l’origine de ses idéaux. Goliarda raconte sa famille libertaire avec beaucoup d’amour, et elle-même est attachante et drôle lorsqu’elle pose ses questions d’enfant qui mettent les adultes face à leurs contradictions. C’est un roman sur la légèreté de l’enfance, sur ses rêves, mais toujours avec l’ombre d’un danger qui rôde en arrière-plan. C’est peu explicité mis à part lors de quelques passages rompant la temporalité pour parler de Goliarda adulte, poursuivie par les nazis, se cachant à Rome sous un faux nom.

La description de son idéal militant se fait de manière très poétique, entre les descriptions de la ville dans laquelle elle évolue et son admiration intense pour Jean Gabin. Si elle admire son désir et son insoumission, ce une amourette d’enfant mais bien la volonté profonde de lui ressembler jusqu’à devenir Gabin lui-même. C’est ainsi qu’on assiste à des scènes assez drôles où la jeune Goliarda fume une cigarette imaginaire et essaye tant bien que mal de garder un air sombre et ténébreux face aux autres enfants qui l’entourent.

Si L’Art de la Joie est un éloge à l’amour, ici c’est la louange des rêves, de la liberté et de l’enfance, de manière parfois un peu magnifiée, comme on a tendance à le faire avec le recul de l’âge. Le texte est parfois légèrement confus et demande de revenir quelques lignes au-dessus pour bien saisir les enjeux mais son côté doux, poétique et surréaliste en fait une lecture fascinante que j’ai dévoré en une petite journée.

Moi, Jean Gabin est donc moins grand, moins fort que L’Art de la Joie, mais s’avère aussi lumineux et beau grâce à la voix atypique de son écrivaine. L’édition du Tripode est particulièrement belle (mis à part une erreur de typographie sur le prénom de Goliarda, en couverture de mon édition…), accompagnée d’une biographie de l’autrice et de photos d’elle et de sa famille dans la fin du roman. Cela permet d’autant plus de saisir la raison de cette sublimation des souvenirs et de la mélancolie ambiante ; les suites de l’Histoire n’ont pas épargné la famille Sapienza et plusieurs des nombreux enfants ont été tués par la mafia ou le fascisme.

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Jean Gabin et Michèle Morgan dans Quai des Brumes de Marcel Carné

J’ai ainsi eu à nouveau un coup de cœur pour l’œuvre de Goliarda Sapienza avec cette courte autobiographie, qui m’a fait retrouver certaines de mes impressions et émotions à la lecture de L’Art de la Joie. Cette enfance atypique et libre, un peu idéalisée, est une jolie parenthèse à la grisaille ambiante. Un jour, c’est sûr, je lirai tout de l’autrice.
J’ai toujours eu du mal à répondre à la question « Quel est ton auteur préféré » mais si cela continue j’aurai peut-être ma réponse…

Moi, Jean Gabin – Goliarda Sapienza (2012)
Édité au Tripode, à trouver proche de chez vous sur Place des Libraires


Sur le même thème et que je conseille :

  • Le baron perché – Italo Calvino : en 1770, âgé de douze ans, Côme décide de monter dans un arbre et de ne plus jamais en redescendre. De là-haut il vivra une vie insoumise et rêveuse pour se conformer à ses idéaux. Ce très court roman est le premier d’une trilogie un peu absurde (avec Le vicomte pourfendu et Le chevalier inexistant) et à mon goût le meilleur. Comme dans Moi, Jean Gabin, il y règne une ambiance de doux-rêveur qui accompagne une réflexion sur la société et l’homme.
  • Les cahiers d’Esther – Riad Sattouf : on change d’époque pour nos jours dans cette BD où l’auteur retranscrit les anecdotes de la fille d’un de ses amis, ses interrogations, ses rêves, le tout avec un ton très impertinent et attachant. Ça pique parfois un peu (les enfants ne sont pas des anges et leurs remarques peuvent être sacrément moches) mais c’est très chouette. Histoires de mes 11 ans est sorti il y a peu et il devrait y avoir un tome par an jusqu’à ce que la véritable Esther en ait assez. Riad Sattouf a un vrai talent pour retranscrire des dialogues et faire rire (parfois jaune), si vous ne le connaissez pas déjà je ne peux que vous le conseiller.
  • La vie devant soi – Romain Gary : je n’ai pour l’instant jamais parlé de Gary sur le blog alors que c’est l’un de mes auteurs préférés ! La vie devant soi est le récit d’une enfance un peu étrange, à la fois emprunte de gravité et très légère, et retranscrit l’amitié très forte entre un petit garçon et une vieille femme. C’est tendre, atypique et très émouvant, sans être mon préféré de la biographie de Gary c’est un superbe roman.

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Avez-vous lu Moi, Jean Gabin ?
Quels sont vos livres préférés sur l’enfance ?

3 réflexions sur “Moi, Jean Gabin – Goliarda Sapienza

  1. Moi, Jean Gabin est sur ma wish-list depuis que j’ai refermé L’art de la joie! 🙂 Ton article me fait trépigner d’impatience! Et tout comme toi, j’ai bien l’intention de lire un jour ou l’autre tous les livres de cette autrice.

    Si l’on reste dans le thème de l’autobiographie de l’enfance, j’ai lu Vipère au poing, d’Hervé Bazin, qui m’avait vraiment marquée, les récits de Pagnol, les Confessions de Rousseau, le Journal d’Anne Franck et Un sac de billes de Joseph Joffo (j’ai toujours aimé lire sur cette période de l’histoire), Aliocha, d’Henri Troyat, lu et adoré très jeune, et la Promesse de l’Aube de Gary, notamment (La vie devant soi est dans ma PAL).

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    • Aaah, j’ai hâte d’en avoir ton avis !
      De ta liste j’ai lu Anne Franck petite, qui m’avait énormément marquée, Un sac de billes que j’ai beaucoup aimé et La Promesse de l’Aube (j’aime tellement Gary).
      Je note les autres références ! Je ne sais pas pourquoi mais je confond toujours Vipère au poing avec Poil de Carotte de Jules Renard…

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