Les Braises – Sándor Márai

les_braises.pngJ’ai lu ce roman au hasard d’un avis positif repéré juste avant un passage à la bibliothèque. C’est l’avantage des réseaux sociaux, notamment culturels : ils permettent réellement d’élargir le champ de ses découvertes et de tomber sur des pépites. Je note souvent dans un coin de papier les romans conseillés sur les blogs et forums, mais aussi depuis quelques années sur Sens Critique à travers les notes attribuées aux œuvres par mes éclaireurs. C’est l’une de mes méthodes de découverte préférées puisqu’elle ne dévoile rien sur l’histoire ou l’auteur, c’est vraiment un conseil pris à l’aveuglette. Et pour Les braises, ce fut une bonne surprise.

Mais de quoi ça parle ?

Henri et Conrad sont meilleurs amis depuis l’enfance mais leurs chemins se séparent à l’âge adulte, lorsque Conrad part pour les Tropiques du jour au lendemain. Les braises, c’est leurs retrouvailles 40 ans après, alors que les deux hommes sont à présent vieillards. Ils partageront une soirée au cours de laquelle ils se remémoreront leurs anciens souvenirs autour de Catherine, la femme décédée d’Henri, et des raisons entourant la fuite de Conrad.

Quand un homme devient juge et veut prononcer un jugement, il n’a pas le droit de se contenter des faits établis par les rapports de police. Il doit prouver ce que les juristes nomment le motif du délit. Le fait de ta fuite est facile à établir, mais le motif de cette fuite ne l’est pas. Tu peux me croire quand je te dis que, durant les années écoulée depuis ton départ, j’ai examiné toutes les hypothèses pouvant servir d’explications à ce départ. Aucune n’a été satisfaisante. Tu es le seul à pouvoir m’éclairer.

Mon avis

La première chose qui m’a sauté aux yeux c’est que Les braises rappelle beaucoup, beaucoup Stefan Zweig. C’est un compliment car j’aime beaucoup l’auteur, mais j’ai du mal à ne pas baser tout mon argumentaire sur la comparaison avec l’Autrichien. La similitude se fait déjà dans le format du livre, court roman ou longue nouvelle selon comment vous faites la distinction entre les deux. Pour moi, un thème quasi-unique et une « chute » sont des critères récurrents de la nouvelle, notamment chez Zweig, et c’est ce que j’ai retrouvé ici.

C’est joliment écrit, dans le style assez typique des auteurs de la première moitié du XXe siècle comme… Zweig – duh – ; si c’est un peu désuet sur certains tics d’écriture, ça ne l’est jamais sans un certain charme. Comme beaucoup d’écrivains, Sándor Márai offre une réflexion également très datée de la condition de la femme, avec un discours particulièrement sexiste et raciste (le beau temps des colonies). Conrad parle des femmes malaisiennes qu’il a connu en les comparant à « un chien », gentil mais un peu relou, et Henri de la femme qu’il a adoré comme « un bel objet qu’on aime faire admirer », en toute simplicité. Donc comme d’habitude, oui la société est sexiste et a évolué, oui ces auteurs ont été imprégnés de cette morale et ce n’est pas leur entière responsabilité, mais non ce n’est pas une raison pour ne même pas aborder le sujet : lire un roman et se voir comparer à un animal ou un objet ce n’est pas vraiment agréable, donc autant prévenir, là dessus Les braises a très mal vieilli.

En dehors de ça, le personnage de Catherine est assez intéressant, brillant par le fantôme de son absence. Elle est le point central du roman même si on ne la voit pas en dehors des souvenirs de l’un et l’autre des personnages et son caractère semble le plus intéressant et digne d’en faire l’héroïne. La comparaison avec Stefan Zweig trouve d’ailleurs ici matière à réfléchir, car la même histoire aurait tout à fait pu être contée par l’écrivain avec Catherine en personnage principal.

Les braises, c’est aussi un huis-clos très théâtral et efficace, qui se lit d’une traite dans sa construction en oignon, partant du superficiel pour creuser petit à petit le sujet, et laissant grandir la sensation d’inconfort ressentie dans cette enquête. Le ton est très pessimiste, notamment quand l’auteur parle de l’homme et sa nature, de manière intéressante même si déjà-lue. J’aime beaucoup les réflexions sur les motifs derrière les faits et la nécessité de les prendre en compte, mais elles ne datent clairement pas d’hier (coucou Eschyle et les cours de prépa). Même si, malheureusement, elles restent d’actualité puisque selon certains abrutis qu’on ne nommera pas, « Expliquer c’est déjà vouloir excuser ».

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Sándor Márai

Ce court roman est classique mais prenant, marqué par l’atmosphère pesante et amère du spectre des guerres mondiales et de la solitude cinglante de ces vieillards.
C’est une belle découverte que je ne garderai peut-être pas en mémoire des années durant, mais qui me donne envie de me diriger vers d’autres œuvres de l’auteur.

Les Braises – Sándor Márai (1942)
Édité au Livre de Poche, à trouver proche de chez vous sur Place des Libraires


Sur le même thème et que je conseille :

  • Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme – Stefan Zweig : évidemment je ne pouvais pas ne pas le conseiller puisque vous l’aurez compris, si vous aimez l’un l’autre vous plaira certainement ! Comme souvent avec l’auteur, c’est un récit court, simple et plein d’humanité, qui fait preuve de beaucoup de compassion envers ses personnages féminins. Je conseille celui-ci pour ses similarités tant au niveau de la narration que des thèmes avec Les braises, mais j’aurai aussi bien pu conseiller Amok.
  • Inconnu à cette adresse – Kathrine Kressmann Taylor : nouvelle sur l’amitié entre deux hommes, l’un allemand et l’autre juif, à travers leur correspondance durant la montée du nazisme. Un peu rapide par moments (l’évolution d’un des personnages est un peu bâclée), cela reste une jolie lecture épistolaire qui aurait mérité de s’étendre un peu plus, mais remarquablement intelligente et clairvoyante quand on pense que le texte a été écrit en 1938 !
  •  L’histoire des 3 Adolf – Osamu Tezuka : à nouveau une histoire d’amitié qui tourne mal, et comme le livre précédent c’est sur fond de Seconde Guerre mondiale. On suit ainsi Adolf Kamil, fils d’immigrés juifs-allemands au Japon, Adolf Kaufman, métisse germano-japonais et fils d’un diplomate nazi et… Adolf Hitler, dont un journaliste a découvert des documents prouvant qu’il aurait du sang juif. Manga en quatre volumes de l’homme considéré comme le père du manga moderne, le trait peut s’en ressentir car il est clairement daté années 80, ce qui peut en rebuter certains. Ça serait dommage cependant, car Tezuka n’a pas pris une ride dans son talent de conteur à la narration efficace.

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Avez-vous lu Les braises ?
Connaissez-vous d’autres œuvres sur l’amitié trahie ?

8 réflexions sur “Les Braises – Sándor Márai

  1. Je retrouve le même problème avec Dracula concernant les femmes, ça me hérisse le poil à un point tu ne peux même pas imaginer ! Cet auteur me fait peur, je ne sais pas pourquoi, j’ai plusieurs fois essayé d’en acheter mais je l’ai reposé comme si le livre allait me mordre. Je tenterai peut-être mais pas maintenant.

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    • J’imagine tout à fait ! C’est insupportable, et tellement courant en plus, même chez mes auteurs préférés. Parfois j’ai la patience pour passer outre, mais alors parfois pffff !

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      • J’ai pas vraiment de patience là, je rame totalement justement parce que les clichés sur la femme pullulent allègrement et c’est insupportable, heureusement j’en suis à la fin. Mais ma lecture de Dracula m’aura fait perdre patience et énervée tout de long à cause de sa misogynie terrible

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        • Oui je suis d’accord. J’avais lu Dracula il y a une dizaine d’année alors que j’étais bien moins sensibilisée au féminisme et que je laissais passer beaucoup de choses, mais même là j’avais quand même tiqué.

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  2. Je n’ai jamais entendu parlé de ce livre…

    J’ai rencontré récemment le même problème que toi et Ambroisie avec des lectures qui pourraient être géniales si elles n’étaient pas si misogynes! Et même si on peut expliquer cela par la société dans laquelle les auteurs vivaient à ce moment-là, je trouve ça tout de même très dérangeant.

    Inconnu à cette adresse est dans ma wish-list!

    Et concernant les lectures sur le thème de l’amitié trahie, spontanément, rien ne me vient à l’esprit, à part Judas et Pierre dans le nouveau testament :-). Par contre des histoires de fratrie ou de couples, ça, déjà plus: Pierre et Jean de Maupassant, Les apparences, de Gillian Flynn, Rebecca, de Daphné du Maurier, La liste de mes envies de Delacourt, Deux sœurs pour un roi de P.Gregory etc.

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    • Tout à fait, et c’est amusant mais je trouve que beaucoup d’autrices vieillissent beaucoup moins que les auteurs de ce côté là ! (Honnêtement, Jane Austen a une plume et des opinions bien plus moderne que Sandor Marai, alors que plus d’une centaine d’années les séparent…) Disons que considérer les femmes comme des êtres humains aide à écrire de beaux personnages féminins :p
      J’ai adoré Pierre et Jean, Les apparences et Rebecca, je dois vraiment avoir quelque chose avec les problèmes de fratries / couples ! Et bien vu pour Judas haha

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