Les Perdants Magnifiques – Leonard Cohen

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Dur de parler d’un roman pareil, sans début ni fin, à la fois terrible et magnifique. Je ne me voyais pas garder la structure carrée de mes articles habituels pour l’aborder, c’eût été aller contre la nature profondément décousue de ce texte écrit par le chanteur et poète Leonard Cohen (celui qui a composé Hallelujah, So Long Marianne, Chelsea Hotel et plein d’autres belles choses que je vous encourage à découvrir si vous ne le connaissez pas déjà).

Le roman aborde plusieurs histoires en parallèle : l’obsession du narrateur pour le souvenir de sa femme Edith et de leur amant commun F., tous deux décédés, la biographie d’une sainte iroquoise du XVIIe siècle, Catherine Tekakwita et des réflexions plus ou moins liées au récit sur la drogue, la société, la pop-culture, la religion, des poèmes, des prières, des dialogues, des lettres…

Le désir change le monde ! Qu’est-ce qui fait rougir le flanc de la montagne couverte d’érables ? Paix, fabricants de bondieuseries ! Vous touchez à des choses sacrées ! Catherine Tekakwita, vois-tu comme je m’emporte ? Comme je veux que le monde soit mystique et bon ? Et si les étoiles étaient minuscules, après tout ? Qui les fait s’endormir ? Devrais-je faire attention à mes ongles ? La matière est-elle sainte ? Je veux que le coiffeur enterre mes cheveux.

Les Perdants Magnifiques est une sorte de grand roman expérimental qui lorgne sur la poésie et ne possède pas forcément de sens. J’ai commencé ma lecture comme avec un livre habituel, en me concentrant sur l’histoire, les personnages et le fil conducteur ; mais finalement j’ai trouvé que le lire sans but, un peu crevée ou distraite convenait tout aussi bien. Je me suis laissé porter par la belle écriture du parolier, lisant certains paragraphes uniquement pour le rythme et la chanson et d’autres « comme d’habitude ». C’est quelque chose qui m’a plu, mais je pense que ça peut aussi sacrément rebuter ceux qui n’aiment lire que le romanesque !

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Leonard Cohen et sa muse Marianne

Sur le contenu lui-même, il faut garder à l’esprit que Leonard Cohen a écrit ce texte largement sous l’emprise de substances illicites et que… ça se sent. C’est donc complètement chaotique et déjanté, tout en offrant un visuel intéressant de la société canadienne de l’époque au cours de passages plus terre-à-terre (sûrement écrits sobre)(ne prenez pas de drogues s’il-vous-plaît). J’imagine que ça a probablement bien plus parlé aux jeunes des années 60, mais même aujourd’hui certaines réflexions ne sont pas complètement dépassées.

L’autre aspect principal du livre réside dans son rapport à la sexualité. Il n’y a pas de tabou, certaines scènes sont très crues et ont fait scandale à l’époque. Si ce n’était que ça, on pourrait s’y faire (à condition d’être averti), mais il y a aussi des passages franchement malsains. Le roman est en plus d’assez mauvais goût, carrément démodé et kitsch par moment, avec des accents new age complètement clichés et assez captivants. C’est un texte halluciné et mystique qui part parfois un peu en cacahuète.

Tout le Monde Est-Il Une Prière A La Même Etoile ? Toutes Les Années Du Monde Ne Sont-Elles Que Le Catalogue Des Evènements Des Vacances ? Est-Ce Que Toutes Les Choses Arrivent En Même Temps ? Y A-T-IL Une Aiguille Dans Cette Meule De Foin ? Jouons-Nous, Au Crépuscule, Dans Un Vaste Théâtre Aux Bancs De Pierre Vides ? Tenons-Nous Par La Main Avec Nos Ancêtres ? Sont-Ils Chaud Et Royaux, Les Haillons De La Mort ?

C’est au final un roman puissant qui m’a à moitié conquise, sûrement car il n’est pas adressé à ma génération et qu’il lui manque quelque chose de réellement intemporel.
C’est pourtant un livre que je suis heureuse d’avoir découvert. C’est assez rare d’être véritablement surprise par l’intégralité d’un texte, sur la forme comme le fond ; ce roman fourre-tout est impressionnant pour qui aime les expériences de lectures atypiques.

Et malgré les défauts que je lui ai trouvés, s’il ne sombre pas dans le grotesque et reste un très beau texte, c’est bien grâce au talent de son auteur et la beauté de la plume de Leonard Cohen. Si vous appréciez déjà le chanteur, Les Perdants Magnifiques a pas mal de chances de vous plaire.
Je l’ai lu sans forcément comprendre ni chercher à recoudre le tout et pourtant, j’ai aimé ce livre un peu bizarre, touchant et surprenant. Je crois même que je voudrais le relire un jour (en anglais cette fois, peut-être), c’est dire !

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Leonard Cohen

Au final je ne sais pas si je peux vous conseiller ce roman ou pas. Si vous aimez les machins barrés et atypiques, si vous lisez de la poésie en prose et des écrivains surréalistes, si vous appréciez Leonard Cohen et les thèmes récurrents de son œuvre (qui sont tous ici) oui, vous aimerez certainement Les Perdants Magnifiques qui est une belle découverte comme on en fait peu.

– Tu voulais être un Superman qui n’aurait jamais été Charles Kent. Tu voulais être à la première page des bandes dessinées. Tu voulais être Ibis l’Invincible, celui qui ne perd jamais son Ibistrique! Tu voulais voir SOCK ! POW ! SLAM ! UGG ! OOF ! YULP ! écrit en l’air entre toi et le monde entier. Devenir un Homme Nouveau en un quart d’heure par jour, ça ne présentait aucun intérêt pour toi. Avoue !

– Oh, oh oui, oui, j’avoue. Je voulais un miracle ! Je ne voulais pas gravir l’échelle du succès avec des coupons ! Je voulais me réveiller soudain avec des visions de rayons X. Je l’avoue !

Les Perdants Magnifiques – Leonard Cohen (1966)
Edité chez Christian Bourgois, à trouver proche de chez vous sur Place des Libraires


Connaissez-vous ce roman ?
Quelle est l’expérience de lecture la plus barrée que vous ayez faite ?

9 réflexions sur “Les Perdants Magnifiques – Leonard Cohen

  1. Ce livre m’intéresse ! comme tous les livres que tu lis de toute façon, mais en plus je pense qu’il plairait à quelqu’un que je connais et qui parle de sa génération. Du coup je le note aussi en idée de cadeau !

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  2. J’étais impatiente d’avoir ton avis sur ce livre. Mais je crois que ça n’est pas pour moi, même si j’aime beaucoup la façon dont tu en parles.
    Plus ou moins dans la même thématique, j’ai lu Just kids de Patti Smith: je l’ai trouvé intéressant mais tellement éloigné de moi!

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    • Merci, ça me fait vraiment très plaisir 🙂
      J’avais adoré Just Kids, mais effectivement c’est tellement loin de nos vies ! Et Les Perdants Magnifiques est moins structuré que Just Kids, ça part bien plus dans tous les sens.

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