Ou : Faut-il se renseigner sur les auteurs avant de les lire ?
Ma première lecture de l’année est mitigée ; à la fois drôle, cynique, pleine de critique envers la société japonaise et les humains sur notre planète ; en même temps écrite par un auteur dont les convictions rendent l’interprétation de son humour compliquée.
Aujourd’hui je vous parle d’un roman qui serait excellent si je le prenais hors contexte, mais aussi d’un questionnement que je me pose depuis longtemps et qui est tout à fait d’actualité : peut-on séparer l’œuvre de l’auteur ?
Mais de quoi ça parle ?
D’un chat errant japonais qui se réfugie chez un professeur d’anglais où il sera rapidement adopté. Ce n’est pourtant pas le début d’une belle histoire entre eux, mais plutôt de réflexions constantes sur son maître, ses amis et la société, vus à travers le regard du matou.
Cette fois, je miaule en mêlant un petit sanglot à mes miaous. Je suis certaine que ma voix a un son si pathétique qu’elle doit suffire à évoquer la nostalgie du pays natal dans le cœur d’un voyageur perdu loin de chez lui. O-San reste de glace et ne se retourne pas.
Mon avis
Il m’embête ce bouquin, vraiment. Parce que franchement, il est drôle ! Bien écrit, bien pensé, la réflexion est intéressante et certains passages complètement absurdes. J’ai eu un quasi coup de cœur, à peine entaché par quelques longueurs à certains chapitres.
Les personnages sont tous globalement stupides, le professeur et ses amis sortant un nombre de conneries à la minute proprement hallucinant (certains passages sont dantesques) et rivalisant tous d’incompétence et de m’as-tu-vu.
Alors forcément, quand ces personnages inutiles et stupides se mettent à disserter sur l’inutilité des femmes pendant quelques paragraphes, alors même que depuis le début ils n’en foutent pas une tandis que les femmes qui les entourent s’occupent de tout, j’ai trouvé ça plutôt drôle, me suis moquée, de concert avec le chat, de ces hommes bien bêtes, et suis passée à la suite.
Sauf qu’à la fin du roman j’ai décidé de lire la préface.
Sōseki ne témoigne d’aucune admiration ni d’aucune tendresse pour ses personnages de femme, qui représentent le sexe vulgaire et sans éducation, une calamité nécessaire dont l’homme avisé doit se tenir le plus loin possible.
Et là, je me suis dit que j’avais mal compris quelque chose.
Ça n’aurait pas été la première fois en plus ! J’avais déjà lu Les Jeunes Filles de Montherlant comme une parodie des romans de mœurs où les hommes lancent de grandes généralités sur la gente féminine en n’ayant manifestement pas la moindre idée de ce dont ils parlent. Tout dans le roman est grossier, imbécile. Son auteur passe son temps à s’apitoyer sur lui-même tout en baignant dans une médiocrité abrutie et énumérant avec grand sérieux des considérations qu’un collégien prendrait de haut. Bref, très drôle, très méchant pour tout le monde mais aussi très parodique.
Et ensuite j’ai découvert que non, ce n’était pas parodique, l’auteur a été sacrément clashé par Simone de Beauvoir et que d’après le résumé ce serait le « portrait le plus vrai et cruel des jeunes filles jamais écrit ». Ah. Puis j’ai découvert de nombreux avis d’hommes aussi cultivés que pédants affirmant que c’était le roman le plus réaliste sur la psyché des jeunes filles. Ah.
C’est une situation aussi gênante pour moi (je n’ai décidément rien compris) que pour eux en fait (merde quoi, ils ont la quarantaine passée et croient encore à ces âneries ?).
Bref : je ne peux pas me faire confiance.
J’ai donc pris mon courage à deux mains et fait une rapide recherche Google pour voir si d’autres sources corroboraient la misogynie de Sōseki ; la réponse est oui et c’était même pire que je ne l’aurai cru puisque le délire de l’auteur serait d’écrire des personnages féminins forts pour ensuite les remettre à leur place.
Ah.
Mais en même temps, l’œuvre semble vraiment ironique sur énormément de points, donc pourquoi pas aussi celui-ci ? J’étais face à un dilemme.
Il n’y a rien de plus difficile à comprendre que la psychologie des hommes. Je ne sais pas du tout si mon maître est maintenant en colère ou s’il est joyeux, ou encore s’il cherche l’apaisement dans les livres des philosophes. Considère-t-il le monde d’un œil sarcastique ou désire-t-il le fréquenter, s’irrite-t-il contre des riens ou s’est-il élevé au-dessus des choses de cette terre ? Je ne peux le dire. Tout cela devient très simple pour nous les chats. Nous mangeons et dormons quand le besoin se fait sentir, nous nous mettons en colère sans aucune retenue et nous miaulons de tout cœur quand l’occasion le demande.
Faut-il séparer l’œuvre de l’auteur ? Indépendamment de sa biographie, j’aurais eu une interprétation féministe totalement différente des idéaux de l’auteur, sauf qu’à présent que je sais, je ne peux plus faire comme si je ne savais pas. Est-ce que ça doit m’empêcher de lire ces auteurs dont les opinions sont si différentes des miennes ?
[Alors attention, je ne parle ici que du cas d’opinions contraires aux miennes, pas de celui d’artistes ayant commis un crime et se baladant depuis impunément tout en se posant en victime (*kof kof*Polanski*kof kof*). C’est encore un autre sujet.]
Pour le moment, je m’accommode d’un compromis : si l’opinion de l’auteur n’est pas explicite dans le roman j’arrive à ne pas y penser, mais si ses idéaux imprègnent profondément son œuvre, j’ai forcément plus de mal à me détacher de ce que je sais.
J’ai aussi tendance à être plus clémente envers les auteurs nés il y a fort longtemps et morts depuis plus d’un siècle puisqu’il faut contextualiser avec l’époque.
En fait, le plus important pour moi est de faire preuve de recul et de bien aborder les points les plus rances de l’oeuvre d’un artiste quand on en parle. Ce côté prétendument intouchable des artistes et des œuvres m’irrite plus qu’autre chose : garder son sens critique et discuter des aspects sexistes (par exemple) d’une œuvre ne lui enlève pas ses autres qualités ! L’art peut vieillir et ne plus être d’actualité, partiellement ou intégralement.
Je ne pense pas que je lirai des biographies des auteurs avant de les lire ; je préfère nettement me lancer à l’aveuglette quitte à être déçue plus tard… ce qui arrive de plus en plus fréquemment. Logique : le blog m’oblige à me renseigner un minimum avant d’écrire un article, alors qu’avant je lisais dans mon coin, sans frotter le monde littéraire avec la réalité.
Ça enlève une part d’innocence à la lecture, certes, mais en même temps c’est bien plus intéressant de se confronter sans cesse à de nouveaux dilemmes et d’enrichir sa réflexion !

En attendant, faut-il lire Je suis un chat ? Je vais faire la Normande mais… pourquoi pas. C’est un bon livre, les passages sexistes sont minoritaires et peut-être que dans ce livre en particulier, c’est bien les hommes proférant de telles âneries qui sont moqués et pas les femmes (après peut-être que vous verrez les choses totalement différemment de moi et je serai ravie d’avoir votre avis dans ce cas).
C’est un texte formidable et atypique qui vaut la peine d’être découvert, même si cette très mauvaise découverte m’a gâché sa lecture ; si vous arrivez à détacher ce que vous lisez des idées de l’auteur ça peut être une bonne idée ; si vous ne souhaitez pas lire d’auteur misogyne (mais quelle drôle d’idée) passez votre chemin, évidemment.
En attendant, si vous voulez lire d’autres romans tournant sur le point de vue de nos amis les bêtes, vous pouvez découvrir ma sélection de trois romans dont les héros sont des animaux !
Je suis un chat – Natsume Sōseki (1905)
Édité chez Gallimard
Qu’en pensez-vous ?
Est-ce que vous vous renseignez sur les auteur·ice·s avant de les lire ?
Je ne l’ai pas lu mais alors j’ai adoré lire ton article, parce que tu poses une question que tout le monde doit se poser. Et je me bats déjà avec certaines de mes camarades à la fac sur le fameux sujet de Polanski. J’en suis venue à en faire un principe de vie de cette question. Non l’oeuvre ne se dégage pas de l’artiste parce que l’oeuvre vient de l’artiste. Le mythe de Sisyphe de Camus m’a bouleversé et il explique très bien dans les dernière pages que l’oeuvre ne détache jamais de l’artiste car l’artiste prend un engagement de création, qu’il réfléchit en même temps qu’il produit. Que l’oeuvre est un miroir d’une intériorité, de la réalité de l’artiste. Alors si je devais lire ce livre c’est juste pour avoir les arguments contre les misogynes et les retourner contre eux. Autant mettre toutes les armes de notre côté pour faire ployer la débilité humaine. (Je deviens hargneuse quand on parle du sexisme mais en ce moment je suis du genre totalement lassée par les discours sexistes que j’entends partout, sans que les gens en aient forcément conscience en plus. C’est le plus dramatique.)
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Je suis on ne peut plus d’accord avec toi, l’oeuvre se nourrit tellement du vécu et des idées de l’artiste que je vois mal comment on peut les dissocier radicalement.
L' »ennui » c’est que je ne connais pas tous les artistes, et que je découvre beaucoup d’œuvres avec seulement mon vécu et mon interprétation, sans les confronter préalablement à l’artiste. Du coup, je me demande s’il est possible de se réapproprier un oeuvre (surtout quand l’artiste est mort depuis longtemps) et la réinterpréter (tout simplement en ne se renseignant pas sur un artiste) ou bien si il faut toujours contextualiser une oeuvre.
Ahah, je serai très mal placée pour te juger ! J’avoue que j’arrive à un point de saturation, j’essaye d’éviter au maximum de lire les conneries sexistes que sortent certains, histoire de protéger mes nerfs.
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C’est une question très intéressante ! Au-delà de l’aspect objectif, il y a celui subjectif, notre ressenti, qui rentre clairement en ligne de compte. Je vais parfois arriver à prendre du recul (mais compte sur moi pour balancer ce qui me titille 😛 ) mais parfois, je n’y arrive pas, comme ce fut le cas pour Alexis Zorba et en partie Guerre et Paix. Pour moi, un classique transcende les époques, et je crois qu’on est beaucoup à s’accorder là-dessus, mais si le livre a une écriture sublime mais qu’il humilie les femmes (donc moi, logiquement), il a transcendé les époques de rien du tout, ça insulte la moitié de l’humanité, au bout d’un moment ce n’est plus supportable. Ce qui est considéré comme classique reste très centré sur le masculin, et je n’accepte pas qu’on me traite de chipoteuse quand les femmes ont une place très diminuée ou qu’on leur crache dessus, de quelque manière que ce soit. Je ne vais pas descendre chaque livre qui le fera car il y en aurait un paquet et je pourrais aussi jeter mes livres de Camus au feu, mais le « recul » n’est plus possible dans certains cas.
Et désolée pour mon ton sec, je suis énervée aujourd’hui, mais ça m’empêche de trop réfléchir à la question « Vais-je trop loin ? » car ce n’est pas le cas 😀
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Je suis complètement d’accord avec toi sur la définition d’un classique (j’ai un tag sur les classiques qui arrive la semaine prochaine avec en intro « les classiques transcendent leur époque » mot pour mot 😂), d’ailleurs je pense aussi qu’un classique peut « périmer » quand la mentalité décrite n’est plus du tout d’actualité.
Je trouve d’ailleurs hyper violent de lire un roman très réputé mais ouvertement sexiste, et je pense que c’est pour ça que j’interprète souvent ce que je lis comme une critique du sexisme : c’est d’une violence tellement absurde que c’est plus rassurant de se dire que ce sont les propos qui sont moqués et pas les femmes (je suis trop optimiste).
Et je serai mal placée de te traiter de chipoteuse, on m’a déjà dit que j’étais misandre de chercher à lire autant de femmes au « dépend » des hommes lol
(j’espère que c’était bien clair que le « quelle drôle d’idée » en conclusion était pour rire hein, je veux pas non plus lire d’auteur mysogine…)
Mais justement, je me demande à quel point je dois être tolérante face à ça, et à quel moment ce n’est plus supportable. Parce que bon, dans les classiques il y a quand même un sacré paquets d’auteurs (et d’autrices) sexistes, racistes et/ou homophobes, même parmi les plus « progressistes » ou ceux que j’adore (ton exemple de Camus rentre pile poil). Du coup est ce que pour mon plaisir de lecture il vaut mieux que je lise sans rien savoir de l’artiste, me faire ma propre interprétation de l’œuvre quitte à être déçue après ou bien est ce que je considère que je dois tout lire selon le biais de l’artiste, et dans ce cas j’arrête de lire une grosse partie des classiques ? C’est très égoïste comme réflexion en fait et je n’ai vraiment pas de réponse
(parce que bon, même Simone de Beauvoir sort de sacrées conneries homophobes parfois, donc je ne lirai vraiment plus grand chose)
Le seul truc dont je suis sûre en fait, c’est qu’il ne faut jamais passer sous silence ces aspects d’un livre sous prétexte que c’est un classique. Mais pour ce qui est de les lire ou non… Je ne sais pas. Comme tu le dis, je pense que c’est très subjectif, parfois ça passe et parfois pas du tout selon nos vécus, le moment où on le lit…
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Oh, il me tarde de lire ton TAG sur les classiques !
Pour revenir plus précisément au sujet, je me demande comme toi si je ne suis pas passée à côté de passages sexistes dans certains classiques, mais je préfère juger le livre sans forcément trop en savoir sur l’auteur et ses idées. De toute façon, j’ai le regard qui est parfois tellement acéré que ça ne m’échappe pas 😛
On t’a traitée de misandre pour ça ? L’incompréhension devait être pas mal décevante dis donc… Fallait leur demander pourquoi ils lisent plus d’hommes que de femmes automatiquement, la réponse n’aurait pas forcément été aussi facile qu’elle en aurait eu l’air.
Je pense que ça dépend à quel fréquence et à quel degré l’auteur se permet d’être sexiste. C’est comme ça que je base mon avis sur le sexisme, insupportable ou non, de l’oeuvre. Dans les oeuvres de Camus, les femmes sont très peu présentes, donc finalement, à part leur absence (et un autre point dont je parlerai un autre jour), il n’y a pas « grand-chose » qui m’énerve. C’est donc à toi de voir selon ta perception des choses. Pour la lecture de classiques en ayant ça à l’esprit, on peut très bien continuer à en lire, car l’écriture peut vraiment être charmante (ou mieux), le procédé narratif est original, mais sans forcément mettre le livre sur un piédestal. Après tout, les auteurs pouvaient être de gros cons sexistes à l’époque, et je pense que tu peux carrément en abandonner sans honte. (c’est là où tu te protèges si besoin) Et non, ce n’est pas égoïste comme réflexion, il n’y a que ceux qui ne sont pas concernés ou sensibilisés à la question qui viendraient le dire. C’est normal de vouloir lire un livre sans se sentir insultée toutes les deux pages…
(j’en ai entendu parler pour Simone de Beauvoir, il fallait s’attendre à ce que sa pensée ne soit pas inclusive à l’époque…)
Et je te rejoins totalement sur le reste ! 😉
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Eh oui, misandre parce que ça ne devrait pas être un critère de choix et que je discrimine donc les hommes (après rassure toi, c’est arrivé une seule fois par un abruti fini sur internet donc ce n’était pas traumatisant :p)
De toute façon c’est un sujet assez complexe et je ne pense pas qu’il y ait une « bonne » réponse niveau éthique, le tout est de faire comme on le sent, c’est comme tu le dis !
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Voilà un super article qui amène à de passionnants échanges!
Je prends très rarement le temps de contextualiser un livre ou de faire des recherches sur un auteur, essentiellement… parce que ça prend du temps que je peux passer à lire 🙂
Je pense qu’un livre c’est à la fois ce que l’auteur a écrit, mais également ce que la personne qui le lit y met au moment de sa lecture, et qui est différent pour tout le monde. Si l’auteur est misogyne/homophobe/raciste, que c’est le message qu’il veut faire passer de façon plus ou moins directe et que tu as compris autre chose, c’est plus gênant pour lui que pour toi. Et si le message est au contraire clair, je ne lirais pas un autre livre de cet auteur (mais en effet, se pose ici la question d’un minimum de contextualisation: faut-il arrêter de lire Hermann Hesse parce que dans Une bibliothèque idéale il considère qu’une femme, trop occupée par son ménage, ne peut pas être « un bon lecteur »?).
J’ai lu L’amour et les forêts d’Eric Reinhardt sans avoir eu vent de la polémique associée et j’en suis très heureuse, sinon je serai passée à côté d’un joli moment de lecture. Ce qui ne m’empêche pas depuis que je suis au courant de me poser des questions sur le « droit » d’un écrivain à vampiriser une histoire vraie au nom de son art.
Et pour la petite histoire « Comment sommes-nous perçu par les autres quand nous essayons de réfléchir un minimum à ce que nous lisons », j’ai été « traité » de féministe (oui ce n’était clairement pas un compliment …) quand j’ai dit que je trouvais dommage que l’héroine de En Attendant Bojangles ne puisse pas « juste » être à l’écart de la norme, qu’il fallait forcément que cela soit les premiers symptômes d’une maladie mentale…
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Aïe, dur dur Hermann Hesse…
Et finalement je fais un peu comme toi : pour moi l’important c’est de prendre plaisir à sa lecture, quitte à revenir dessus après coup pour se poser des questions, comme tu l’as fait avec Reinhardt !
Je crois que certains ne comprennent pas qu’on a le droit d’exercer son sens critique même face à des oeuvres qu’on a aimé… (le jour où ils découvriront aussi qu’être féministe est positif leur monde va être bouleversé :p)
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Pour ceux que ça intéresse, on m’a envoyé un message sur une autre plateforme qui pourra vous apporter un autre point de vue et que je retranscris ici avec l’autorisation de son auteur :
Salut,
J’ai lu avec intérêt sur ton site ta critique de « Je suis un chat » de Sôseki. La question de la séparation de l’œuvre et de l’auteur (question hautement débattue à la Sorbonne) n’est pas anodine…
Pour t’éclairer un peu, peut-être: le maître du chat en question est Sôseki lui-même, il se moque aussi de lui-même à travers le chat mais aussi de son entourage. Il y a donc un Sôseki observateur (le chat) et un Sôseki observé (le maître).
Son épouse était quelqu’un de difficile mais pour mieux comprendre les griefs, les deux grandes stars de la littérature qu’étaient Mori Ogai et Sôseki à cette époque avaient en plus de leurs visions différentes et leur statut, deux épouses qui rendaient leur relation encore plus difficile, par jalousie et/ou attirances envers le conjoint opposé. Mori courait derrière les honneurs quant à Sôseki, désabusé de nature, préférait la nonchalance, Mori était le médecin, l’hygiéniste, Sôseki le malade, le littéraire, Mori le spécialiste germanophone, Sôseki, l’anglophone et au milieu ces deux épouses compliquaient les choses. Cela n’excuse rien mais pour finir, te dire aussi que la mère de Sôseki, morte quant il était jeune, a été pour lui très importante. Sa mort a été le déclic de sa première grande dépression et la révélation de sa bipolarité, puis de ses problèmes de santé, il ne s’en sortira d’ailleurs pas.
Sôseki fait partie de ces écrivains comme Kafû entre autres qui voyaient le vieux Japon féodal mourir avec sa poésie aussi, pour laisser place à un Japon moderne et occidentalisé à vitesse grand v. Quand il était allé à Londres, il avait vu le Londres noir de l’industrialisation, en pleins travaux urbains pour élargir les voies (terrains vagues et usines à suif partout), un Londres défiguré et laid, et cette modernisation lui faisait peur et le déprimait. Pour autant, esprit curieux et moderne, il n’a pas refusé ce nouveau monde qui s’ouvrait.
Sôseki n’était pas quelqu’un de facile mais le monde qui l’entourait ne l’était pas pour lui non plus 🙂
Autre chose, sur la construction de l’œuvre. A l’origine c’était un texte publié par parties dans un journal, comme c’était courant à l’époque. Le tout a été publié postérieurement en un seul volume.
Il n’avait pas écrit le texte en entier mais seulement un chapitre au départ sans trop de foi en lui, une fois publié, le succès étant là, on lui demanda la suite et il publia inspiré d’autre chapitres, mais la deuxième moitié ne l’était pas et il écrivait à la commande sans motivation, d’où le déséquilibre.
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[…] un peu délaissé. ¤ la très intéressante critique de Pauline des Histoires vermoulues sur Je suis un chat de Natsume Sôseki, dans laquelle elle en profite pour s’interroger : peut-on vraiment distinguer l’oeuvre […]
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Article passionnant ! J’aime beaucoup la question que tu soulèves. Ce livre m’intrigue depuis longtemps et clairement je me serais laissée avoir comme toi, sans aucun doute. (D’ailleurs, comme cette lecture n’est clairement pas dans mon programme immédiat, j’ai largement le temps d’oublier tout ce que j’ai appris avec toi et de me faire avoir comme si je n’avais jamais lu cet article.) Je ne me renseigne pas sur les auteurs avant, parfois après si le roman me pousse à le faire. Et après, ça dépend des oeuvres. De quand elle a été écrite, du degré de sexisme, d’antisémitisme, d’homophobie, etc. Je suis beaucoup plus intraitable avec des auteurs contemporains qu’avec des auteurs du début du 20e par exemple. Ça me dérange et je le signalerai, mais ça ne m’empêchera pas forcément d’aimer d’autres aspects du roman. Ça avait été le cas avec Belle du Seigneur par exemple.
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Très bonne idée d’oublier, tu pourras te faire piéger et apprécier sans aucun bémol le roman :p
Je suis d’accord avec toi (d’ailleurs j’avais adoré Belle du Seigneur et je n’avais même pas remarqué la misogynie de l’auteur avant de lire ton article – je donne beaucoup trop le bénéfice du doute -), la société a pas mal évolué en cent ans donc il faut le prendre en compte.
En fait, la seule « méthode » de lecture qui me dérange, c’est quand les lecteurs interdisent la moindre remarque sur les aspects plus dérangeant de l’oeuvre de l’auteur qu’ils aiment.
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Après, pour Belle du Seigneur, est-ce que l’auteur était lui-même très misogyne ou est-ce que c’était simplement, je ne sais pas, ce qu’il voyait de la société ? En tout cas, ça m’avait horripilée. Oui, il faut tenir compte des mentalités de l’époque, bien sûr.
Oui, aimer, adorer même, c’est bien, mais ne pas supporter les critiques, ou fermer les yeux sur certains aspects… On peut ne pas voir (comme tes interprétations personnelles par exemple, après tout tout le monde ne lit pas les livres de la même manière), mais le nier en bloc une fois qu’on le sait, c’est plus gênant.
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[…] La chronique d’Histoires Vermoulues sur Je suis un chat de Natsume Soseki, en plus d’être passionnante comme toutes les autres, soulève une intéressante question sur l’interprétation que l’on fait d’un texte et sur la distinction (à faire, à ne pas faire ?) entre un auteur et son œuvre. […]
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