Inio Asano – Être et mal-être

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Je vous parle aujourd’hui l’un de mes auteurs de mangas préférés en espérant, je l’espère, vous donner envie de le découvrir. Inio Asano est déjà plutôt connu dans le monde des mangas « indépendants » au Japon, mais aussi en France où il s’est bâti une certaine considération (plus critique que commerciale d’après ce que j’ai pu lire à droite à gauche).
Attention, avec le mangaka vous risquez d’être plongés dans une vision réaliste mais plutôt pessimiste du monde et de la jeunesse : vous voilà prévenus.

Pourquoi c’est bien

Le talent principal de l’auteur, c’est sa façon de raconter des histoires. Sa plume est très évocatrice, ne plongeant jamais dans l’horreur, le misérabilisme et le pathos malgré des thèmes parfois très durs. Il parle plutôt du quotidien et de la banalité de la souffrance, à des degrés plus ou moins élevés. Alors rassurez-vous, tout n’est pas noir et déprimant ! Ses mangas dépeignent aussi le bonheur, l’espoir, et parfois simplement le quotidien simple et sans histoire. Beaucoup de ses œuvres sont également traversées par un humour sous-jacent et une folie douce qui les rendent très attachantes. Ses mangas sont tantôt drôles, poétiques, touchants ou terribles et Inio Asano possède un talent fou pour transmettre la réalité, malgré un trait presque caricatural.

Côté dessin, j’accroche beaucoup à son trait mais je ne peux objectivement pas dire qu’il est sublime. Asano dessine bien, mais ses personnages au visage très simple peuvent ne pas plaire ; pour moi, cette simplicité permet une grande expressivité des expressions faciales qui rendent le tout très vivant. Les adultes sont souvent dessinés de manière caricaturale et absurde tandis que les décors photo-réalistes contrastent avec ce côté cartoonesque. Inio Asano excelle à rendre ses personnages vivants : ils ont leurs tics, leurs expressions, leur manière propre d’interagir avec l’espace.
Les corps bougent et vivent, et le talent du mangaka prend toute son ampleur dans les scènes clefs de ses histoires, toujours sublimes et évocatrices. L’auteur n’est donc pas vraiment un illustrateur de génie (même si j’aime son style) mais plutôt incroyablement doué pour insuffler la vie entre les pages de ses œuvres.

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Bonne Nuit Punpun

Les thèmes abordés

Inio Asano dépeint la jeunesse ; principalement japonaise (il y a une lourde critique sous-jacente de la société dans laquelle il vit), mais assez universelle pour que tout le monde puisse s’y identifier. Ses jeunes sont attachants mais paumés et luttent face à l’angoisse du futur, l’incertitude et certains traumatismes plus profonds. Il parle avant tout du passage à l’âge adulte ; il parle de sexualité dans ses aspects négatifs, positifs et les plus banals, sans rien sacraliser ; il parle de foi, de création, de travail ; il parle de deuil, d’angoisse et de dépression… dont il offre un des portraits le plus terriblement réaliste qu’on puisse lire dans la bande-dessinée.
Ses mangas ne sont pas vraiment « faciles » et un certain nombre d’entre eux sont définitivement à réserver à un public averti. Mais c’est un auteur sans concession et qui ne laisse pas indifférent, pour sa vision du monde comme ses choix de mise en scène.

***

Mes préférés de l’auteur

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deadead.pngDead Dead Demon’s Dededede Destruction
2014 – en cours, 6 volumes pour l’instant

Voici l’une des dernières séries de l’auteur et pas des moindres : au vu des thèmes abordés et du tournant que prend l’histoire, je pense d’ailleurs qu’elle deviendra la référence pour le découvrir !
Tout commence après une invasion extra-terrestre à Tokyo, de nos jours. La fin du monde semble être toute proche mais malgré le choc provoqué par la catastrophe, pour les héroïnes la vie semble continuer comme avant. Leur quotidien est à peine changé, et les malheurs des jeunes filles restent plus ceux de lycéennes que de survivantes à l’apocalypse.

Le dessin est très réussi et rempli de petites trouvailles. La science-fiction vue par Asano est très réaliste, faisant écho à notre actualité et notre Histoire, changeant des sempiternelles représentations des attaques alien vues par Hollywood. Le fond est donc assez sombre… mais l’ambiance reste quant à elle plutôt légère et tranche de vie ! La vie continue et les héroïnes sont plutôt inquiètes de leur admission aux études supérieures, amours naissants et parents agaçants.
Ce qui fait que forcément, quand il se passe quelque chose, ça fait mal. Très mal, même.
J’étais un tout petit peu perplexe au début, me demandant dans quelle direction Inio Asano comptait nous mener. Force est d’avouer que l’intrigue se bonifie de tome en tome et qu’Asano étend son propos doucement mais sûrement. C’est intelligent, passionnant, et les jeunes héroïnes sont très attachantes et réussies avec leur blagues et grimaces débiles. A priori la fin de la série ne devrait pas tarder : selon l’évolution de l’histoire, elle pourrait la confirmer comme l’une des meilleures bande-dessinées SF de la décennie.

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Solanin
2005 – terminé en 2 tomes

Le tout premier manga que j’ai découvert de l’auteur, et ça a été une claque immédiate ! L’histoire est simple : on suit le quotidien de deux jeunes adultes et de leurs amis, à travers leurs histoires de cœur et leurs doutes sur l’avenir.
C’est l’archétype de la lecture douce-amère, et si en surface on peut avoir la sensation que le manga ne raconte pas grand chose c’est une œuvre parlant de la recherche du bonheur de manière très juste (entre autres thèmes). Solanin est moins abouti que les mangas suivants de l’auteur mais reste très réussi. C’est aussi l’une des (très) rares BD sur lesquelles j’ai versé quelques larmes et je garderai à jamais le souvenir vivace d’une double page en particulier.

bonnenuit.pngBonne Nuit Punpun
2007 à 2013 – terminé en 13 tomes

Bonne Nuit Punpun est souvent décrit comme le chef d’œuvre d’Asano. Sa réputation n’est pas déméritée mais c’est également son manga le plus difficile à lire. Attention, ne vous laissez pas tromper par sa couverture enfantine : c’est à réserver à un public très averti.
L’histoire se concentre sur le quotidien de Punpun, jeune garçon de CM1 dont la vie bascule le jour où son père blesse violemment sa mère. On suit sa vie à mesure qu’il grandit et oh boy, le pauvre petit va devoir faire face à pas mal de traumatismes.

La première particularité du manga est son dessin : Punpun et sa famille sont tous représentés sous des traits très simples d’oiseaux alors que le reste des personnages sont plutôt réalistes. C’est une œuvre extrêmement sombre, qui reste ancrée dans le quotidien et la banalité mais se rapproche parfois du mystique (avec quelques histoires de sectes un peu perchées). Le malaise grandit et la lecture se fait parfois insoutenable, même lorsqu’il ne se passe en apparence rien de choquant. C’est dur, très dur : la violence est rarement physique, certes, mais il y règne une ultra-violence psychologique vraiment terrible. Les moments d’espoirs et de répit se vivent comme une bouffée d’air frais avant de retourner en apnée, l’ambiance est lourde et oppressante.
Je l’ai lu une seule fois, mais à présent que je sais à quoi m’attendre je le relirai probablement d’une autre manière. C’est certainement un chef-d’œuvre mais c’est loin, très loin d’être agréable à lire. Bonne Nuit Punpun est impressionnant.

Mais aussi…

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La fille de la plage (2011) – terminé en deux tomes
On prend les mêmes et on recommence : des jeunes un poil paumés, leur quotidien plus ou moins maussade et leur passage à l’âge adulte. Particularité ? C’est le manga le plus sexuellement explicite d’Asano. On suit l’histoire d’une lycéenne décidant de découvrir sa sexualité avec l’un de ses camarades. Ça va visuellement très loin (on dépasse l’érotisme là), donc à vos risques et périls ! En dehors de cet avertissement, ce n’est pas aussi dur que d’autres mangas de l’auteur. Un peu mélancolique, un peu triste parfois mais la sexualité n’est pas vraiment négative ici. Elle est plutôt banale et prétexte à la recherche de son identité. C’est peut-être un peu anecdotique mais pas inintéressant !

Le quartier de la lumière (2005) – terminé en un tome
On suit ici deux histoires dans un quartier un peu craignos de Tokyo : un lycéen aidant les suicidaires à passer à l’acte et des mafieux souhaitant faire un kidnapping. C’est une œuvre plutôt mineure de l’auteur mais pas désagréable ; typiquement le genre de manga à emprunter à la bibliothèque avant de rapidement l’oublier !

Un Monde formidable (2003) – terminé en deux tomes
La première œuvre de l’auteur, qui réunit déjà un bon nombre de ses thèmes fétiches : il dépeint multiples personnages dans leur quotidien, au cours de petites scénettes qui s’entrecroisent sur chaque chapitre. C’est très similaire au manga précédent et on sent que l’auteur va encore s’améliorer, mais si vous l’aimez déjà c’est une découverte assez sympa.

***

Avec tout ça, je pense que vous pouvez avoir une assez bonne idée de si Asano peut vous parler ou non : c’est clairement le style de manga qui ne peut pas plaire à tout le monde. Je conseillerais de commencer par Solanin, moins sombre et plus accessible en plus d’être court, ou bien par Dead Dead Demon’s Dededede Destruction, plus abouti et relativement grand public, afin de vous faire une idée.
Attention, je l’ai dit et je le répète mais la majeure partie des mangas d’Inio Asano est à réserver à un public averti (Bonne Nuit Punpun raflant tous les prix de la violence malgré son dessin mignon). Ne vous laissez pas tromper par les couvertures plutôt légères !


Vous connaissez ?
Quel·le·s sont vos mangakas préféré·e·s ?

13 réflexions sur “Inio Asano – Être et mal-être

  1. Je ne connaissais pas cet auteur donc je te remercie pour cet article très intéressant. Je vais voir s’il y a quelques uns de ses manga à la bibliothèque. J’aimerais bien commencer par Solanin et Dead Dead Demon’s Dededede Destruction avant de pourquoi pas me lancer dans Bonne nuit Punpun.

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    • J’espère que je pourrai lire ton avis sur ces mangas alors 🙂
      J’ai l’impression que Solanin se trouve assez facilement en bibliothèque en tout cas, je l’ai vu dans les médiathèques de quasi toutes les villes dans lesquelles je suis passées, petites ou grandes !

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  2. Cet auteur fait indéniablement partie de ma liste de mangakas à découvrir, mais n’ayant plus de place dans ma chambre pour entreposer mes livres (ma mère n’en peut plus de mon bazar) et ne m’inscrivant pas à la bibliothèque parce que ma vie est instable et que je ne sais pas où je serai à la fin de ma formation, je ne l’achète pas. J’arrive déjà même pas à terminer mes séries en cours…

    Mais t’inquiètes, j’avais déjà bien noté, et ton article était vraiment très intéressant par-dessus le marché. 😉

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    • Ah ça, j’avoue que je n’achète plus beaucoup de manga à cause du manque de place dans ma bibliothèque aussi (en plus du prix assez conséquent occasionné par les séries de plus de 10 volumes 😥 )

      J’espère que tu auras l’occasion de le découvrir un jour alors, et merci pour le compliment 🙂

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  3. Je crois que je t’avais déjà demandé ton avis sur Dead Dead Demon’s Dededede Destruction, mais bon, dès qu’il y a un tout petit peu de Science Fiction, ça ne me donne pas envie.
    Par contre, j’ai lu sur le-site-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom un avis disant que Solanin était le même genre d’oeuvre que la série Sacrée Mamie, de SHIMADA Yoshichi, que j’aime bcp. Tu connais?
    Il se peut donc qu’un jour, je me laisse tenter. Quand j’aurai fini mes séries en cours… ou alors quand je trouverai quelqu’un qui peut me le prêter ^^

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    • C’est de la SF vraiment light, on va dire que ça se rapproche plus du fantastique par l’aspect « irruption de l’irréel dans la réalité » et comme prétexte à une fable sociale. Mais effectivement si tu es complètement hermétique au genre ce n’est pas le meilleur manga à lire !

      Je n’ai pas lu Sacrée Mamie mais il faut vraiment que je la lise un jour !
      J’imagine que ce commentaire voulait parler de l’aspect tranche-de-vie, je te dirais ça quand je l’aurai lu 🙂

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  4. J’ai enfin pris le temps de lire ton article ! Il me faisait terriblement envie et en effet, je ne suis pas déçue !
    A la lecture des résumés des titres que tu présentes, clairement, Solanin est un de ceux qui, aussi objectivement que possible, ne m’intrigue pas vraiment. Donc je pense que ça a joué sur le ressenti à la lecture des deux tomes, une sorte de vague indifférence (même si comme toi j’ai toujours une certaine double page en tête – et je pense d’ailleurs que ce doit être la même que toi sans trop m’avancer haha. )
    Mais je n’abandonne pas et compte bien découvrir d’autres de ses œuvres. Dead dead demon’s me botte depuis le début donc je vais vraiment me laisser tenter (à voir si je craque à la recherche de scans ou si je les achète puisque ma bibli ne les a pas…), et Bonne Nuit Punpun m’intrigue énormément, je pense lire ses œuvres dans cet ordre d’ailleurs, peut-être caser au milieu Le quartier de la lumière, je ne sais pas trop..

    En tout cas, article au top Pauline !

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    • Merci beaucoup, je suis trop contente que mon article te plaise ♥
      C’est vrai qu’au moment de ton article je m’étais dit que les autres mangas d’Asano pourraient plus te plaire.
      (Et honnêtement, craque pour les scans quitte à acheter le manga après, histoire d’être sûre que ce n’était qu’à l’histoire de Solanin que tu n’accroche pas et pas à Asano tout entier)(je trouve ça assez désagréable de lire en scan et je te les aurais bien prêté, mais on habite un peu loin 😥 )

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  5. Ohlàlà ça à l’air génial! Je n’avais jamais entendu parlé de cet auteur! Une belle découverte, il me tarde d’aller le lire 🙂
    Pour ma part, je n’ai qu’une bible: Switch Girl. J’adore l’humour d’Aida Natsumi, même si ça part vite à la caricature et que ça peut être très cru, ça casse le gnangnantisme ambiant du shojo traditionnel. Et puis il faut le dire, grâce à elle, chaque fois que je lis cette série, j’ai le sourire jusqu’aux oreilles et j’en ris à m’en faire des crampes d’estomac. J’adore rire, alors forcément, elle m’a conquise 🙂
    (bizarrement, à l’opposé de Switch Girl, mon registre préféré est plutôt les seinen bien noirs et tragiques avec leur dose de mélancolie et une très large palette de sentiments humains)

    Un grand merci pour cet article!

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    • Ahah, je me disais, Asano et Switch Girl c’est pas la même ambiance mais au vu de ta parenthèse il y a bien plus de chance que tu accroche !
      J’espère que ça sera une bonne découverte pour toi alors 🙂

      J’avais commencé Switch Girl il y a quelques années et jamais terminé mais ça m’avait fait bien rire, c’est nettement plus simple de s’identifier à cette héroïne que à celles d’un certain nombre de shojo 😀 Tu me donne envie de choper la suite à la bibliothèque tiens !

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